« Voilà ce qui s’est passé là, voilà ce que nous avons vu. J’ai décrit l’évènement dans tous ses détails, et de mon mieux si l’on songe aux circonstances réellement abominables dans lesquelles je me trouve. Sur ces pages griffonnées à la hâte est rapporté un évènement qui, je le crois, dépasse de loin les plus folles conceptions d’un romancier imaginatif. Quant à savoir si ce récit parviendra jamais à d’autres hommes, s’il sera parcouru par d’autres yeux…seul l’avenir peut le dire. »

« Ce n’est peut-être pas mort ; c’est peut-être immortel…Il se peut que ça ne fasse que changer. C’est peut-être en train d’hiberner, pour ainsi dire… »

Sous la tente d’Amundsen par John Martin Leahy

Près d’une décennie avant que H.P. Lovecraft n’ait publié Les Montagnes hallucinées (1936), Weird Tales publia une autre histoire se déroulant en Antarctique, Sous la tente d’Amundsen de John Martin Leahy (1928). C’est l’œuvre la plus populaire de Leahy.

En 1934, Lovecraft la considère comme l’une des six meilleures histoires publiées par Weird Tales. ( Lettre à Duane W. Rimel, 22 décembre 1934).

L’histoire écrite par Leahy pourrait être le premier volet d’une trilogie écrite au début du XXe siècle. Les derniers épisodes étant « At the Mountains of Madness » de H. P. Lovecraft et « Who Goes There ? » de John W. Campbell, Jr. ( l’histoire la plus célèbre de Campbell, adaptée au cinéma trois fois : La Chose d’un autre monde en 1951, The Thing de John Carpenter en 1982 et sa préquelle du même titre en 2011).

Ces histoires ont été en partie inspirées par les diverses expéditions polaires, à partir de la fin des années 1890. Celles-ci culminèrent avec l’explorateur Roald Amundsen, qui fut le premier à atteindre le pôle Sud, le 14 décembre 1911. Robert Falcon Scott atteignit également le pôle environ un mois plus tard, mais il mourut sur le chemin du retour avec ses 2 coéquipiers restants à 18 km du camp où l’attendaient vivres et médicaments.

Dans Sous la tente d’Amundsen, une expédition de trois hommes arrive dans un camp déserté. Sous la tente se trouve le journal d’un certain Robert Drumgold, qui a péri mystérieusement près du pôle Sud avec deux autres hommes. (La tête sectionnée de Drumgold se trouve également sous la tente).

« Le journal est là devant moi, et je vais maintenant transcrire l’histoire de Robert Drumgold telle qu’il l’a écrite, sans en changer un seul mot, une seule virgule. »

Sous la tente d’Amundsen par John Martin Leahy

Le reste de l’histoire nous est donc raconté par Robert Drumgold, sous forme d’entrées journalières. Le groupe, composé de 3 explorateurs, découvre un camp abandonné, celui d’Amundsen en personne. Ses deux compagnons, Travers et Sutherland, regardent chacun leur tour dans la tente, passant la tête entre les rabats. À l’intérieur se trouve une créature si horrible qu’elle les rend immédiatement fous. Drumgold, le seul à ne pas avoir regardé à l’intérieur, va rapidement se retrouver seul face à la Chose. C’est à ce moment qu’il commence à réaliser que c’est fini. Il va consigner par écrit ses derniers instants. Un comportement que l’on retrouve chez d’autres héros lovecraftiens.

Dans l’histoire de Leahy, la forme de vie extraterrestre est peut-être arrivée relativement récemment, sa découverte étant une conséquence involontaire de l’exploration scientifique. Le hasard a gardé cette monstruosité confinée dans la glace. Pour les explorateurs, la menace est immédiate et l’entité est une sorte de prédateur.

« Soudain, mon sang se glaça dans mes veines et mon cœur s’arrêta de battre quand de la tente s’éleva un son…une plainte sourde et palpitante, un son que jamais aucun homme n’a entendu sur la terre, qu’aucun homme n’entendra jamais, je l’espère.»

Sous la tente d’Amundsen par John Martin Leahy

Dans Les Montagnes hallucinées, la découverte est principalement archéologique. Les créatures sont les premiers occupants de la Terre. Pour Lovecraft, élément que l’on retrouve typiquement dans beaucoup de ses histoires, l’horreur vient de la découverte d’une chose jusque-là inconnue, toujours présente et potentiellement dévastatrice. Selon Leahy et Campbell, la menace vient de quelque part dans l’espace.

Extrait du journal de Robert Drumgold :

8 jan. Travers disparu! A pris son tour de veille à minuit, relayant Sutherland. C’est la dernière fois qu’on a vu Travers, et nous ne le reverrons plus. Pas de traces…pas le moindre signe sur la neige. Travers, le pauvre Travers, disparu! Qui sera le suivant!

9 jan. Avons revu la chose! Pourquoi se laisse-t-elle voir comme ça, parfois? Est-ce que c’est cette horreur sous la tente d’Amundsen? Sutherlant prétend que non, que c’était quelque chose de plus épouvantable encore. Mais il faut dire que S. est maintenant fou, fou à lier, complètement fou. Si je n’avais pas toute ma raison, je pourrais penser que je me fais des idées. Mais je l’ai vue!

11 jan. Pense que nous somme le 11 mais n’en suis pas certain. Ne suis plus sûr de rien, sinon que je suis seul et que la chose m’observe. Sais pas comment j’en suis sûr, car je ne peux pas la voir. Mais je le sais, elle m’observe. Elle guette constamment. Et un jour elle viendra me saisir, comme elle s’est emparée de Travers et de Sutherland et la moitié des chiens.

Oui, nous devons être le 11. Car c’est hier – oui, ce n’est qu’hier – qu’elle a emporté Sutherland. Je ne l’ai pas vue, car le brouillard s’était levé et Sutherland – qui tenait à avancer malgré la brume – me suivait d’assez loin et finalement cette vapeur me l’a caché. Au bout d’un moment, voyant qu’il ne me rejoignait pas, je suis revenu sur mes pas. Mais S. avait disparu, et avec lui le traineau et le chiens, tout avait disparu. Pauvre Sutherland! Mais il faut dire qu’il était fou. C’est probablement pour ça qu’on la enlevé. M’a-t-on épargné parce que j’ai encore ma raison ? S. avait un fusil. Il ne s’en séparait pas, comme si une balle avait pu le sauver de ce que nous avons vu! Ma seule arme est une hache. Mais à quoi peut servir une hache?

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